Londres, janvier 2016, à proximité de l'ambassade de France: Cosette en pleurs dans un nuage de gaz lacrymogène, derrière elle, un drapeau français déchiré qui flotte au vent, et sur la gauche, un QR code qui renvoie, via le compte instagram de Banksy, à une vidéo sur le net, publiée par l'association Calais Migrants Solidarity.
Le graffeur anglais, de renommée internationale bien qu'anonyme, réagit de nouveau à l'actualité, avec humour noir et humanité révoltée, dans cette peinture à la bombe avec pochoir, réalisée dans la nuit, sur une palissade de travaux.
Après avoir accusé la société de consommation actuelle, aliénante, polluante, inégalitaire et violente, après avoir dénoncé l'enfermement des palestiniens derrière des murs qui les condamnent à la guerre, la faim et à la misère, Banksy s'applique à ouvrir les yeux des peuples occidentaux sur la situation humanitaire des migrants, notamment dans la "jungle" de Calais.
Cette œuvre fait suite aux nombreux graff sur le sujet, en France et en Angleterre (les deux pays impliqués dans l'attente des migrants côté français, d'une tentative de passage illégal de la frontière, par le tunnel sous la Manche), ainsi qu'à l'exposition "Dismaland".
Elle reprend la figure emblématique de Cosette, dans une iconographie que britanniques et français connaissent bien.

La gravure d'Emile Bayard, maintes fois reproduite, illustre depuis 1866 le roman de Victor Hugo "Les misérables". Elle représente Cosette, en haillons, tenant à la main un immense balai avec, derrière elle, « ce seau plus grand qu’elle" où elle « aurait pu s’asseoir dedans et s’y tenir à l’aise».
Devenu un symbole de la misère et de l’exploitation des enfants, Cosette figure l'innocence maltraitée.
Cette image a été détournée pour l’affiche de la comédie musicale "Les misérables", qui, depuis la première au Palais des Sports à Paris en 1980, se joue en continue sur les scènes internationales, principalement à Londres et à New York.
Elle ne conserve que le buste de Cosette avec derrière elle, le drapeau tricolore en lambeaux.
Le choix de cette image par Banksy n'est donc pas anodin.
Il renvoie dos à dos français et britanniques, qui regardent la misère des migrants comme un spectacle audiovisuel.
Il dénonce les abus des forces policières, en faisant référence au passé révolutionnaire de la république française, dont les valeurs de liberté, de solidarité, de protection des plus faibles se heuretent les unes aux autres, au nom de la salubrité publique. (Il s'agissait d'évacuer la zone pour reloger les migrants dans de meilleures conditions, pour ceux qui ne seraient pas renvoyés dans leur pays d'origine).
Pour conclure, une citation très à propos de Victor Hugo (tirée des "Contemplations", recueil de poème publié en 1856):
"La forme, c'est un peu du fond qui remonte à la surface..."
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